Ce matin, encore, nous sommes
réveillés par la sonnette de la porte d’entrée. Monsieur l’inspecteur! Sans
Ronda! Il entre et s’assoit sur un tabouret dans la cuisine. Sandra lui propose
une tasse de café. Il accepte. Sandra se sert un bol et s’appuie contre le
radiateur.
Je n’aime pas l’odeur du café ça
vous détraque l’odorat en un rien de temps et, là, ça m’empêche de respirer le
parfum de Ronda. Quant à tenter de flairer directement le pantalon de son
maître, je préfère éviter les semelles dures de ses chaussures.
-Vous êtes venu sans votre
chien, inspecteur?
-Elle est en chaleur et je crains que
ça ne fasse du grabuge avec Maxou; c’est bien son nom n’est-ce pas?
Ah! ah! ah! Pauvre type! Toi, par
contre, tu peux faire du grabuge avec ma maîtresse, c’est cela? Parce que
qu’est-ce que tu lui veux, dis, à 8h du matin?
-Quelque chose ne va pas inspecteur?
Pourquoi cette visite aussi matinale?
L’inspecteur tourne plusieurs fois
sa cuillère dans sa tasse avant de répondre.
-Il y a du nouveau. Apparemment la laisse
ne se serait pas cassée toute seule.
-Vous voulez dire que quelqu’un l’a
coupée?
-Pas coupée : rongée.
Sandra tire un tabouret pour
s’asseoir face à l’inspecteur.
-Les chiens ont réussi à ronger leur
laisse?
-C’est peu probable. Trop près
de leur collier. A moins d’être très souple mais je ne crois pas à cette
possibilité.
S’il y a bien une qualité qu’ils
n’avaient pas ces molosses, c’est la souplesse. Heureusement, sans quoi je ne
serais plus de ce monde.
Ma maîtresse regarde l’inspecteur.
Elle penche la tête, un sourire incertain sur son beau visage :
-Vous n’imaginez tout de même pas qu’un
être humain aurait pu ronger la laisse des chiens?
Di Ableau se recule contre le mur.
Cette femme est vraiment très séduisante. Il toussote avant de reprendre son
interrogatoire.
-William Déhousse avait-il des ennemis?
Sandra ouvre de grands yeux :
-Bien sûr que non! Tout le monde aimait
William!
L’inspecteur remâche les mots
plusieurs fois avant de poser la question suivante :
-Hum ! Et comment ça allait entre
vous?
Le silence s’installe pendant que
Sandra allume une cigarette et tire longuement sur la première bouffée. Elle
souffle lentement un fin nuage vers le plafond.
-Il y avait des hauts et des bas. Comme
dans tous les couples j’imagine. Mais franchement inspecteur, jamais nous ne nous
sommes fâchés au point que je désire ronger la laisse de ses chiens pour qu’ils
le dév…
Elle ne peut continuer, secouée de
sanglots. Et je panique à nouveau! Trop émotif mais je n’y peux rien. Il faut
que je grimpe sur ses genoux, que je lèche ses larmes. Tout pour qu’elle
arrête. Mais elle me rejette.
C’est la faute à cet inspecteur! Je
me retourne, les babines retroussées et je reste pétrifié : il m’observe
fixement. Il soutient mon regard. Je dois me plier. Soumission…Pour l’instant.
Il pose sa tasse vide et se lève.
-Je vais vous laisser mais j’aurai
besoin de recueillir votre déposition. Vous préférez que je revienne ou vous
passez au commissariat?
-Je préfère rester chez moi inspecteur.
-Demain?
-Demain.
Sandra le raccompagne à la porte.
Annie, sa meilleure amie, sort de l’ascenseur. Sa bouche s’arrondit de surprise
lorsqu’elle croise l’inspecteur. Sur sa lancée elle entre dans l’appartement.
-Mais c’est l’inspecteur Di Ableau!
-Tu le connais?
-Mais enfin ma chérie! Tu n’as pas
entendu parler de l’affaire des biches?
-Tu délires darling!
-C’est étonnant qu’il travaille encore
car je pensais qu’il avait été interné.
-Tu dois faire erreur. Celui-ci est
parfaitement normal. Froidement normal.
Elles vont dans la cuisine. Je suis
paralysé! Si cet inspecteur a des soupçons, il ne me lâchera pas. Il voudra se
rattraper du scandale des biches sur mon dos! Ses yeux tout à l’heure!
Mais il n’a pas de preuves! Et il
n’en trouvera pas. Non, car j’ai pensé à tout!
Tout, sauf à l’arrivée de cet
inspecteur là précisément : le seul assez fou pour me soupçonner. Les cris
de ma maîtresse me délivrent de mes angoisses.
-Maxou! Ta gamelle est prête.
Tout en mâchant mes croquettes je
repense à William. Je suis d’accord sur un point avec ma maîtresse: il avait
bon goût! Quand ses deux chiens se sont couchés pour digérer leur maître je
dois avouer que l’odeur du sang m’avait déjà rendu à moitié fou. Seule la
prudence m’avait retenu. Les monstres endormis, je me suis glissé de dessous le
lit. J’ai eu juste le temps de saisir un petit bout et de me sauver par la
chatière. Caché derrière une poubelle j’ai laissé le jus me couler dans la
gorge avant de faire glisser la viande. C’était tendre. Rien à voir avec les
morceaux de steak trop cuit que ma divine maîtresse me donne…Ou encore ces
croquettes… Oui, il était bon William…Je me demande si les hommes sont tous
aussi savoureux…